Maudite rentrée scolaire

Les vacances sont toujours trop courtes

Enfant déjà, je détestais le jour de la rentrée et dès que j’en ai été capable, je calculais les jours qui allaient me séparer des prochaines vacances. Avant ça, je questionnais ma mère dès le premier jour « encore combien de dodo avant les prochaines vacances ? » et à chaque réveil, je marquais une nouvelle barre sur le tableau noir de ma chambre à coucher, comme une naufragée dans le monde moderne. J’étais pourtant bonne élève, appliquée, faisant bien ses devoirs, genre « petite fille modèle » et pourtant… si l’école m’intéressait parce que j’y apprenais de nouvelles choses, je m’en lassais très vite… D’un esprit vagabond, mes centres d’intérêt sont hétéroclites et l’ont toujours été, et l’école me pesait par sa répétitivité, sa monotonie, son manque de diversité, le trop rare côté ludique, sa lenteur, sa pesanteur. J’apprenais, oui, mais sans passion, ou si rarement, sans cette petite étincelle au fond des yeux qui jaillit d’un esprit mis au défi, sans cette flamme intérieure qui vous brûle le cœur et vous donne la soif d’en savoir plus, sans cette source qui vous taraude l’âme et vous pousse à chercher un sens plus profond au mystère de la vie… C’était lent, très lent, trop lent, trop peu diversifié. Toujours lire, écrire et calculer, mais pas question de lire « tout ce qui me tombait sous la main », il y avait des livres interdits, d’écrire mes rêves – manque de maturité, utopiste, décalée – de compter sur mes doigts… ou sur les autres. Et ces problèmes qui me laissaient craindre que la vie en compte plus que de solutions. Pourtant, je savais que dehors, le monde grouillait de tant et tant d’activités tellement attirantes. C’est comme si jamais elles ne pouvaient traverser les murs de l’école qui fonctionnait suivant des normes bien établies mais jamais verbalisées et qui m’échappaient. Je rêvais de la fin de la page d’écriture de Prévert… mais jamais les murs de la classe ne s’écroulaient tranquillement. J’attendais donc – plus ou moins patiemment – les « vacances » – du latin « qui est inoccupé » – elles étaient pour moi l’occasion rêvée d’enfin remplir mon temps de tous ces sujets qui m’intéressaient : l’art, la musique, la création artistique ou l’artisanat, les livres innombrables des bibliothèques sur des sujets aussi variés que la vie animale, la conception des enfants, les grands inventeurs, les photos du monde, les volcans, l’anatomie, Picasso, Jacques Prévert, Khalil Gibran, Jonathan Livingstone le Goéland, les tribus et leurs traditions, les religions du monde, écouter la symphonie du nouveau monde de Dvorak, Brel, Brassens et tous les autres, danser et inventer des chorégraphies, jouer avec mes copines et inventer des histoires, expérimenter de nouveaux jeux dans la rue, à deux ou en groupe, avec les enfants du quartier, exécuter de nouvelles figures sur la balançoire, faire l’éducation de mes poupées, en vrac et dans le désordre. Les vacances étaient toujours trop courtes, beaucoup trop courtes pour satisfaire toutes mes envies de découverte, et je ne comprenais décidément pas les enfants qui s’ennuyaient et se réjouissaient qu’elles se terminent.

L’école ennui

Pourquoi fallait-il que l’école soit aussi monotone ? aussi répétitive ? pourquoi aucun instituteur n’a-t-il jamais proposé une activité différente pour étancher ma soif plutôt que de m’envoyer au coin lorsque je devenais «turbulente », m’agitant sur ma chaise, torturant mon crayon ou chiffonnant ma feuille, « distraite », rêvant en regardant par la fenêtre à la recherche d’un nouveau sujet d’émerveillement, ou que je me mettais à bavarder avec ma voisine pour passer le temps, tant la leçon m’ennuyait ? Je finissais par être taxée de « lente », de « peut mieux faire », de « manque de concentration »… en effet, difficile voire impossible pour moi de me concentrer sur un sujet – j’interprétais « me limiter à un sujet », ah ! quelle horreur ! faire un choix alors que tout m’appelle – parce que ce sujet en appelait un autre, qui en appelait un autre et puis plusieurs autres, des questions qui renvoyaient à des questions, puis à d’autres questions… « oui, mais alors… » « et si on faisait autrement ? » et « pourquoi ? » et « comment ? » et quand mon doigt se levait avec insistance, à répétition, avec fougue, impatience d’obtenir enfin le soulagement à des questionnements qui me coupaient le souffle et que je ne recevais que réponses vagues et furtives, des « on l’expliquera plus tard », « c’est pour la prochaine leçon », «c’est comme ça et pas autrement », voire pire, des reproches, « tu te poses trop de questions » ou de l’indifférence totale à mon agitation, l’institutrice, lassée, finissant par « faire comme si elle ne m’avait pas vue », je me résignais, déçue, je continuais à réfléchir seule, élucubrer des hypothèses, refaire le monde dans ma tête, isolée dans la foule de la classe, je perdais le fil de la réalité, et du coup, effectivement, je devenais en apparence l’enfant « lente et distraite » tandis qu’un feu d’artifice – invisible pour les autres – explosait dans ma tête.

 

 

De la difficulté d’enseigner et du rêve d’une école différente

Les instituteurs et professeurs font un métier bien difficile. Gérer une classe est un challenge qui me dépasse complètement et je suis admirative face à ceux et celles qui y parviennent, au quotidien. Gérer la classe, le programme, les collègues, la direction, la nouvelle politique à la mode, le manque d’éducation des enfants, les parents inquisiteurs, la variété de caractère des enfants, leurs multiples manières d’apprendre… Bravo à eux et à elles qui font un métier essentiel et obtiennent rarement plus que des miettes de reconnaissance.

Même si l’école a dû bien changer depuis toutes ces années, je doute qu’une ouverture, un éclairage suffisant ait été réalisé afin de mettre au jour la souffrance de certains enfants. J’ai enduré l’école comme un « passage obligé » pour obtenir un passeport vers une société qui a continué de me taxer de « disparate », « lente », « distraite », « paresseuse », « incapable », « ne sait pas se tenir à ce qu’elle fait et le mener jusqu’au bout », parce que j’ai une intelligence autre, différente, variable, une soif de nouveau, de créer, de changer, je me lasse très vite d’un sujet une fois que je l’ai mené jusqu’au bout et retourné en tous sens. Une intelligence, un fonctionnement « multi potentiel » dit l’expression à la mode, dans une société impatiente d’étiqueter convenablement chaque personne, de la faire enfin « rentrer dans une case », mais qui ne valorise en rien cette multi-potentialité perçue comme une sorte de pathologie que l’on regarde d’un œil mi envieux, mi sceptique. L’école a contribué à me faire me sentir inadaptée, inadéquate, « extra-terrestre », à miner ma confiance en moi, mon estime de moi surtout, je n’étais « pas normale », donc, forcément « pas quelqu’un de bien », « pas aimable », j’aurais dû être différente, comme les autres, et je me le reprochais, alors, pour être aimée, me sentir mieux, être valorisée, faire partie du clan, j’ai tenté de « rentrer dans le moule », nier cette partie de moi, l’oublier, faire semblant d’être quelqu’un d’autre, « être bien sage », me disait-on et j’ai compris que ça serait le prix à payer pour avoir la paix. Une paix très relative car à l’intérieur, ma vraie nature continuait de bouillonner, jusqu’à ce que qu’à l’âge adulte, la marmite déborde.

 

Un rêve d’ouverture

Au nom de tous les enfants comme moi qui sont encore sur les bancs de l’école, je vous demande juste, avant de les taxer d’incapables, de lents, de distraits, de casse-pieds, d’inadaptés, de paresseux… demandez-vous s’ils ne manquent pas simplement de « nourriture », nourriture intellectuelle, nourriture pour la curiosité, nourriture spirituelle… Je souhaite que ces nourritures diverses et variées soient à disposition des enfants, qu’ils puissent enfin, à des moments choisis, étancher leur soir d’apprendre, de savoir, de comprendre, de découvrir, d’expérimenter, d’inventer, de créer. Qu’ils puissent s’exprimer par des activités artistiques non stéréotypées, sortir des normes, sortir du cadre, sans être bafoués. Qu’ils apprennent à apprivoiser leurs émotions et à communiquer de manière relationnelle, car ça ne fait pas partie de leur répertoire naturel. Qu’ils apprennent aussi des techniques corporelles et spirituelles, massage, yoga, méditation, relaxation, afin de se recentrer, se canaliser, mettre leur cerveau sur «pause », goûter à la paix, à l’instant présent et toucher au sens véritable du « je suis dans l’Univers et l’Univers est en moi ».

 

A tous les adultes qui se reconnaissent dans ce portrait, je voudrais dire qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir soi-même, soi m’aime, s’accepter, se reconnaître, faire la paix avec soi et avec le monde et enfin « être au monde ». Il y a des moyens. Nous avons la chance immense de vivre dans un monde qui commence à bouger, à reconnaître des modes de fonctionnements « hors système établi », qui regorge d’outils corporels, spirituels, de techniques relationnelles ou d’apprivoisement des émotions qui peuvent aider à enfin s’épanouir.

 

Je souhaite que chaque enfant – et cela vaut pour l’enfant intérieur dont le cœur bat encore dans l’âme de chaque adulte – sente que quelles que soient ses capacités et sa manière de fonctionner, il a une place unique et spéciale dans ce monde et l’Univers l’a désiré tel qu’il est parce qu’il a quelque chose d’unique à réaliser.

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