Quand le massage devient art du toucher

Non, je ne « fais » pas « du massage »

Lorsque je parle de massage, je ressens souvent le même genre d’émotion que lorsque je visite un musée et que je suis absorbée par une peinture, subjuguée par une sculpture ou lorsque je suis au concert, imprégnée de musique ou de chant, ou que moi-même, je chante (du lyrique, à mon modeste niveau).

 

C’est pourquoi il m’est si difficile d’entendre des personnes me dire « tu fais du massage, donc ? ».  J’ai alors la sensation que le massage est réduit à un acte technique, comme si en écoutant la 9ème de Beethoven, on disait qu’il a fait « une jolie chanson sur la joie » ou si en dégustant un mets raffiné d’étoilé au Michelin préparé avec tendresse et minutie, on décrétait que « c’est un bon pâté » ou encore que les Tournesols de Van Gogh sont juste « des fleurs dans un vase ».

 

Non, je ne « fais » pas du massage, j’ai la prétention d’estimer que je pratique un art.  Prétention ? Parce qu’une part de moi continue de me répéter « Une artiste ? Non, mais, pour qui tu te prends ?! ». Conditionnement depuis l’enfance, conditionnement social, un artiste, ça n’est pas quelqu’un de sérieux, il ne pratique pas un vrai métier et d’autre part, le paradoxe veut que « se considérer comme un artiste » est prétentieux, comme si d’office, on se comparait à un Klimt, Mozart ou autre Rodin. Heureusement pour moi, et pour ceux et celles que je masse ou que j’accompagne en relation d’aide par le toucher, je ne laisse plus ces voix intérieures et extérieures médisantes me dicter ma conduite.  Je choisis d’y rester sourde et lorsque « j’ose me prendre pour une artiste », laissant fulminer cet égo péremptoire comme un misérable enfant gâté boudant dans son coin, c’est pour moi une joie si immense que non seulement, j’ai envie de m’y replonger sans cesse, mais également, de la partager. C’est cet élan qui me porte à animer mes ateliers et ma formation au massage Présence.

 

Les multiples facettes du massage : de la technique à l’art

Chaque jour un peu plus, l’expérience me montre à quel point un massage peut se vivre comme un instant de magie dans des émotions semblables à celles qui se dégagent d’une œuvre musicale. Je pense en particulier à cette émotion que j’appellerais « reliance ». Celle qui nous fait nous sentir « reliés à plus grand que nous », avec cette évidence soudaine que nous ne sommes pas isolés dans cet Univers, mais qu’il est en nous, que tout est relié à tout et que ce « tout » nous englobe, nous aussi. Un instant de béatitude, de grâce, où le temps est suspendu et où tout « fait sens », comme on peut en ressentir face un paysage immense ou au cours d’une méditation.

 

Un massage, c’est aussi une pléiade d’émotions et sensations diverses, variées, subtiles, éphémères comme des petites bulles de savon légères aux couleurs moirées qui restent un moment à tourner sur place, s’envolent au gré d’un courant d’air, changent de forme, éclatent en gouttelettes odorantes, comme les notes d’un concerto.  Pour que cette magie puisse se produire, il s’agit que le masseur ne soit pas juste « un technicien » (j’utiliserai le masculin tout au long de mon texte, mais évidemment, il peut toujours s’entendre également au féminin), mais qu’il maîtrise son art à tel point qu’il permette à cette magie d’avoir lieu.

 

 

Revenons à l’instrument de musique : lorsque vous débutez, vous peinez à approcher l’instrument : tenir un violon correctement ne s’acquiert pas du jour au lendemain, avoir un bon doigté sur un piano non plus. Il en va de même pour le futur masseur : gérer sa position par rapport à la table, la fluidité dans les déplacements de son corps, se respecter, respecter ses limites, ne pas se blesser dans l’exercice de son art, s’adapter à des corps différents qui se placent différemment sur la table, sont autant de paramètres qu’il va apprendre à gérer progressivement.

 

Il s’agit ensuite de répéter sans cesse, de « faire ses gammes » comme on dit et c’est tout aussi nécessaire en massage que dans l’apprentissage d’un instrument : répéter les séquences, les « jouer » dans un ordre différent, reprendre une partie difficile, placer ses mains ou son corps autrement, tester un nouveau contact… On peut, à force de répétition, devenir un bon technicien de l’instrument : on joue une pièce de Chopin sans trop d’erreur, on donne un massage techniquement correct, ce qui n’est « déjà pas si mal » et est une étape nécessaire.  Cependant, personne ne paierait (et je vois ici l’argent échangé comme un échange d’énergie) pour aller écouter un musicien, certes « techniquement correct », mais qui exécute la partition sans art. Une fois la technique maîtrisée, toute la finesse de la mélodie, la subtilité des silences, le mystère des liaisons, le toucher délicat de l’instrument, la vibration, vont compter parmi ces paramètres subtils qui vont ou qui ne vont pas transmettre l’émotion, faire vibrer le corps, enivrer le cœur, épanouir l’âme. Dans le massage, ce qui va différencier un massage juste « techniquement correct » d’un moment de magie sera, entre autres : la qualité du toucher, sa pression, sa plénitude, sa légèreté, la rapidité du mouvement, sa lenteur, la variation de vitesse, de type de mouvement, les pauses,…

 

 

Le virtuose ne se contente pas de « faire des notes » avec son instrument mais parvient à une fluidité propice à l’émergence de l’émotion chez lui et chez son auditeur et là, je ne parle encore que de l’aspect technique, or, c’est aussi par son attitude intérieure que le musicien, ou le masseur, va toucher l’autre : présence, accueil, attention et apprivoisement de ses propres émotions, intériorité, ouverture, transparence, ancrage, lâcher-prise.

 

Chaque massage peut être exécuté comme une « lecture à vue » de partition, ou être un concert fabuleux, unique, et réveiller en celui qui le reçoit une vibration, une énergie, une émotion nouvelle, un petit supplément d’âme. C’est par sa maîtrise – et la maîtrise, outre la pratique et sa répétition, est pour moi synonyme de lâcher-prise et non de contrôle – et par sa disposition intérieure que l’artiste, qu’il soit masseur, musicien, ou exerce toute autre forme d’art, va autoriser (ou non) la magie à se produire.

 

Notez bien que je ne dis pas que c’est lui qui produit la magie, il n’a pas ce pouvoir, elle ne lui appartient pas, elle n’appartient à personne. Elle est juste là, présente, elle se manifeste à travers lui, ou ne se manifeste pas.

 

 

Le talent, cela s’apprend

Seulement, on ne devient pas un musicien virtuose ou un peintre de génie du jour au lendemain.  Outre le don ou le talent « inné », cela s’apprend, progressivement, par étapes. Bien sûr, il y a le passage obligé par la contraignante technique, même Picasso a dû apprendre à dessiner.

 

Ensuite, il y a la passion qui pousse à apprendre toujours. On n’a jamais fini d’apprendre.  Le talent naît aussi de la curiosité, de l’expérimentation et de l’humilité face à l’œuvre, face à l’autre, face à soi-même.  Non pas une remise en question péjorative qui ruine la confiance en soi et mine l’estime de soi, mais au contraire une humilité bienveillante et curieuse qui permet un regard neuf, ouvre sur une créativité inattendue.  Face à notre pratique professionnelle comme face à la vie, nous gagnerions énormément à rester comme l’enfant qui découvre le monde pour la première fois, les yeux et le cœur grands ouverts sur le monde.  Nous offrir cette fraîcheur d’esprit, profiter de cette eau limpide qui purifie et vivifie le coeur.

 

 

Chaque massage, chaque concert, chaque rencontre, c’est toujours une première fois. Celle de ce jour, de cet instant, ne s’est jamais produite avant et ne se reproduira jamais plus exactement pareille. Elle est unique et éphémère. Considérée sous cet angle, la vie est extra-ordinaire (dans le sens « en dehors de l’ordinaire »), plus rien n’est ordinaire ou banal, tout est source d’émerveillement. Au-delà de la technique, il y a donc une disposition de cœur qui va tout changer.  Et il n’est pas nécessaire d’attendre d’être virtuose pour déjà s’offrir à soi et à l’autre cette qualité de présence. C’est en expérimentant encore et encore que le talent va naître et la qualité se révéler.

 

En réalité, vous êtes déjà un artiste.  C’est juste que vous ne le savez pas encore.  Vous n’avez pas accès aux ressources qui sont en vous, parce que simplement, vous n’avez jamais appris à atteindre cet état particulier, à y revenir à souhait, à laisser s’exprimer à travers lui le meilleur de vous-même. Toute expérience qui favorise cet état améliorera la pratique de votre art, quel qu’il soit.  Que vous optiez pour la méditation de Pleine Conscience, le yoga, la danse consciente, l’improvisation artistique, la pratique de la gratitude, qu’importe, l’épanouissement de votre art passera inéluctablement par le vôtre, et réciproquement, vous vous épanouirez en pratiquant votre art.

 

Le plaisir dans la pratique de l’art

On peut difficilement penser massage sans penser plaisir.  Même si bien d’autres raisons peuvent amener une personne à demander un massage – résoudre un conflit par rapport au toucher, se détendre, soulager une douleur, par exemple – le plaisir reste un motivant puissant. Pour ce qui est du masseur, s’il n’a pas de plaisir à donner le massage, il y a de grandes chances pour que ce dernier « passe mal » et qu’il arrête assez rapidement cette activité.

 

A nouveau, c’est pareil dans toute pratique artistique.  Observez un violoniste, un peintre, une chanteuse d’opéra dans la pratique de leur art, ils éprouvent plus que du plaisir : ils jubilent ! L’artiste est à la fois totalement absorbé par ce qu’il vit tout en conservant un « méta-regard » sur lui-même et son œuvre, sensible à chaque nuance, suivant son inspiration, faisant appel à sa technique autant qu’à son intuition et à son ressenti, attentif à la réponse du public, ou de la personne massée. Le musicien entre en résonance avec la musique, la partition, l’instrument, la salle, le public. Le masseur avec son massé.

 

 

C’est un état très particulier bien difficile à décrire, il faut l’avoir ressenti, en avoir fait l’expérience. Avez-vous déjà écouté un orateur ou un professeur passionné par sa matière ? Le genre de personne qui est capable de rendre sa passion contagieuse et vous en éclabousse ? C’est pour cette raison que cette jubilation fait partie intégrante du massage : si le masseur la ressent, elle est transmise au massé, sinon, l’œuvre, aussi parfaitement exécutée soit-elle, reste insipide. L’émotion chez l’un  va éveiller l’émotion chez l’autre.  Elles vont entrer en résonance l’une avec l’autre, se répondre, s’amplifier.

 

 

Deux êtres humains et une relation

Vous êtes unique. Votre massée st unique. Et la relation qui va vous unir à lui le temps d’un massage est unique.

Dans les relations, on dit souvent que « le courant passe » ou qu’il ne passe pas. C’est une réalité sur laquelle nous n’avons pas de contrôle, et c’est tant mieux.  On peut adorer le concerto pour violon de Brahms joué par un certain artiste, alors qu’il peut nous laisser indifférent si c’est un autre qui le joue. C’est pourtant bien la même musique.

 

Ainsi, un même massage nous plaira « mais sans plus » alors que le même massage (le même type de massage) donné par une autre personne sera pour nous source d’émotions et de découvertes inattendues. Le courant « passe » avec cette personne-là, ce jour-là. En comprendre les raisons serait fort complexe et selon moi, c’est tout simplement dénué d’intérêt.  Je propose toujours de faire confiance au corps. En l’occurrence, c’est le corps qui sait.  Il sait ce qui est juste, ce qui est bon pour lui, ce dont il a besoin, là, en ce moment.  Et si nous savons être suffisamment à son écoute, ça sera « tout bénéfice » pour nous, notre corps, et tout le reste de notre être puisque selon moi (et je suis bien entendu loin d’être la seule à défendre cette thèse), tout est relié à tout, corps, psychisme, spiritualité, bref, toutes les dimensions de l’être ne font qu’un et interagissent entre elles en permanence.

 

 

L’art du masseur sera aussi de se mettre à l’écoute du massé, à l’écoute de son corps, surtout, car s’il écoute uniquement ce qu’il lui dit, il risque de  passer à côté du véritable message. Cette écoute passe par les mains du masseur, mais c’est tout son corps qui, ayant développé des « antennes » de perception et les ayant affinées au fil du temps, va percevoir les mouvements extérieurs et intérieurs, le rythme propre de la personne, et permettre de rencontrer au mieux ses besoins du moment.

 

Cela peut aussi dépendre des jours, du moment, de notre état d’esprit, des soucis quotidiens.  Ainsi, un concert peut nous émouvoir un jour et nous ennuyer un autre. Nous ne sommes juste pas disposés à nous laisser toucher par la musique ce jour-là, à ce moment-là. Nous ne sommes pas disponibles, nous sommes fermés.  De la même façon, un massage sera merveilleux un jour et nous laissera sans joie, voire frustré un autre jour. Il est important d’apprendre à accueillir ce qui est, dans la confiance que ce que l’on vit ce jour-là est exactement ce dont nous avons  besoin. C’est évidemment plus difficile à accepter lorsqu’il s’agit d’une frustration que lorsqu’il s’agit de paix, de détente, voire d’extase. Il est aussi utile de s’ouvrir au recevoir et c’est un apprentissage d’une importance capitale pour le masseur dans son évolution personnelle.

 

 

Quelle que soit la disposition de celui qui est venu écouter le concert/recevoir le massage, le musicien/le masseur va donner le meilleur de lui-même, mais cela ne suffira peut-être pas pour que la magie opère.  C’est donc une opération complexe qui dépend de plusieurs facteurs. Elle dépend de l’artiste, et de sa qualité de présence, de celui qui reçoit, et de sa capacité à se rendre disponible au recevoir, et de la fluidité de la relation qui s’établit entre eux. Ce sont les « ingrédients de base » de la recette. Ajouter ensuite une dose de technique, un tour de main assuré et cette part inexplicable et impalpable d’amour et d’attention pour en faire un mets d’exception.

 

La touche personnelle

Chaque artiste possède « sa patte », sa manière de faire vibrer ou de retenir les cordes du violon, son style d’écriture, sa façon d’étaler la peinture, d’utiliser les matières, de souligner une courbe, de surprendre par une fioriture inattendue.  Chaque masseur aussi s’appropriera la technique et développera sa « touche » personnelle, son approche, son toucher, son premier contact, sa composition de mouvements, de pétrissages, ses arrêts, ses respirations, ses effleurages, ses mouvements en pression ou en légèreté, ses balancements, ses rythmes, ses étirements, ses mobilisations du corps dans l’espace. On peut dire qu’il massera avec sa propre personnalité, avec ce qu’il a développé, avec sa créativité, mais aussi avec qui il est ici et maintenant.  C’est précieux.  Cela constitue sa personnalité de masseur.  Cela le rend unique. Aussi, n’existe-t-il rien que l’on puisse désigner « concurrence », puisqu’il n’existe pas deux masseurs identiques.  On pourrait dire que chaque masseur possède « sa fréquence propre » qui entrera en résonance avec certaines personnes, moins avec d’autres. Il trouvera des personnes « sur la même longueur d’ondes » et d’autres pas du tout. L’exercice de l’art plaira à l’un, pas à l’autre, le « courant » passera avec certains, pas avec les autres, chaque masseur, chaque massage sera différent et unique.  On ne peut pas comparer des œuvres qui sont chacune uniques.  On peut juste dire « j’aime » ou « je n’aime pas », être attiré par l’un aujourd’hui, par l’autre demain, en fonction de ses besoins personnels, à l’instinct, à l’intuition.

 

Chacun a sa place en ce monde et sa richesse dépend de la capacité de chacun à exprimer qui il est et à développer de plus en plus cette expression pour son épanouissement personnel et pour celui de tous. En plus de la technique, de la qualité de sa présence à soi et à l’autre, de l’épanouissement de son être, de l’ouverture de son cœur, cet aspect « épanouissement de la créativité » du masseur me parait essentielle.

 

 

Le massage est un art éphémère, un art de l’instant. A l’image des mandalas de sable coloré effacés d’un revers de la main ou des aquarelles qui ne se retouchent pas, il est le fruit d’une longue préparation, d’un travail minutieux, exigeant, d’un souffle, d’un lâcher-prise, et il ne vit qu’un instant, à la fois fugace et éternel, profane et sacré.

 

Devenir un artiste du toucher

Vous souhaitez vous aussi devenir un(e) artiste du toucher ? Développer pas à pas vos capacités et vos talents en restant présent à vous-même et à l’autre ? Trouver votre propre « touche », développer votre créativité, vous épanouir au travers de l’accueil inconditionnel de l’autre et de vous-même ?

Je propose dès septembre 2017 le module de base de la formation « Massage Présence ». Vous trouverez tous les renseignements utiles en suivant le lien: http://www.joellepierry.com/prestations/formations/

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Une réflexion au sujet de « Quand le massage devient art du toucher »

  1. Waouh ! Tout ce que j’avais envie de lire sur le toucher et que je n’avais encore jamais lu ! Quelle sensibilité ! Je deviens impatient de vivre cette découverte avec vous…

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